Jigmé Thrinlé Gyatso

Clemenceau, le Tigre et le sage

 

Par Jigmé Thrinlé Gyatso

pour le Musée Clemenceau-de Lattre

et la Société des Écrivains de Vendée

 

« Nous débarrasserons-nous jamais de cette manie de la fixité, si contraire à la nature des choses qui nous fait oublier tous les changements de l’homme et du monde, pour immobiliser, à nos propres fins, la mobilité ? »

                           Georges Clemenceau,

                                        Au soir de la pensée, Tome II,

  1. 479-480, Librairie PLon, Paris, 1927.

 

Il est des vérités universelles dont personne ne peut s’attribuer la découverte, mais que chacune ou chacun devrait laisser résonner en son cœur, avant de les faire retentir pour le bien de l’humanité, comme l’a fait Georges Clemenceau dans nombre de ses écrits.

Bien que je sois moine bouddhiste, j’ai volontairement choisi une citation où Clemenceau ne parle pas explicitement du bouddhisme. Il n’en est point besoin, tant il me paraît certain qu’il avait compris et assimilé les grandes idées de cette voie millénaire, qui ont imprégné ses réflexions et textes inspirés.

C’est à mes yeux un des aspects positifs de Clemenceau, et je souhaite retenir principalement le bien chez autrui, contrairement à la tendance générale qui consiste à traquer et révéler les défauts des autres — ce qui revient toujours d’ailleurs à exposer les siens propres sans s’en rendre compte !

Après avoir vécu trente ans dans d’autres régions de France, mon retour en Vendée en octobre 2015 a coïncidé avec l’exposition « Clemenceau, le Tigre et l’Asie », présentée à l’Historial de la Vendée, après Paris et Nice, par le Musée Guimet.

J’ai été ému de découvrir à cette occasion le lien entre Clemenceau et le bouddhisme. C’est cette émotion que j’exprime ici, en cédant à l’irrésistible envie de citer encore et encore le Tigre qui n’en était pas moins sage.

 

 

Quitter la silencieuse montagne et l’ermitage savoyard

pour la Vendée natale et océane

en cette année où l’Historial accueillait l’exposition

« Clemenceau, le Tigre et l’Asie »

 

Souvent je me suis dit :

il faut convoquer Clemenceau

avec son humanité sa force

et son amour pour la vie l’art le bouddhisme et l’Asie

 

Ici cher Georges

Au soir de la pensée

vous nous parlez de fixité et de mobilité

pour décrire le fol attachement des hommes

à l’idée de permanence

rappeler sans la nommer

l’impermanence —

concept-clé de la voie de l’intériorité —

et dénoncer l’humaine arrogance

qui ne vise jamais que ses fins propres

 

Là Monsieur Clemenceau

vous nous parlez de pessimisme et d’optimisme

pour nous en montrer l’inanité

au regard de l’interdépendance universelle

enseignée par « le Bouddha qui, d’un suprême élan,

atteignit les sommets d’une philosophie des choses

où l’homme communie avec toutes les émotions

[de la terre,

dans une charité universelle des existences

pour le soulagement des communes douleurs. »[1]

 

Ainsi êtes-vous un tigre qui dit aux hommes

qu’« Au-dessus de tous les organismes de vie,

la modestie de notre état demeure à ne pas dédaigner.

Pessimisme, optimisme, sont des mots

qui ne répondent à aucune donnée des phénomènes

puisqu’ils supposent un monde aux fins

[de la destinée humaine,

quand c’est l’homme au contraire,

qui est dans la dépendance de l’univers. »[2]

 

Ainsi êtes-vous un sage qui rappelle la réalité :

« Glissante jusqu’à la cruauté,

la pente de l’insensibilité humaine.

Pour la victime, la bête d’abord,

et puis l’homme animalisé par l’esclavage.

Sur un fond comique de carnage éternel

construire un asile humain de bonté,

par la mise en œuvre des sensibilités émoussées

aux contacts de la vie commune,

combien plus malaisé que d’attendre du Cosmos,

[divinement personnifié,

la bonté qu’il nous appartiendrait de réaliser

[en nous-mêmes,

au lieu de l’appeler vainement des Dieux sourds. »[3]

 

Le moine-poète ne triche pas

en citant ici et ainsi Clemenceau

tant il convient de rappeler

à lui-même et à l’humanité elle-même

ici et maintenant

ici et partout encore et toujours

« la modestie de son état »

 

 

Novembre 2019

[1] Georges Clemenceau, Au soir de la pensée, Tome I, P. 329, Librairie PLon, Paris, 1927.

[2] Georges Clemenceau, Au soir de la pensée, Tome I, P. 1, 2, Librairie PLon, Paris, 1927.

[3] Georges Clemenceau, Au soir de la pensée, Tome II, P. 376-377, Librairie PLon, Paris, 1927.